*Première diffusion (Radio-Canada): décembre 1995

En Somalie, la guerre a fait taire les poètes. Mais dans un village du sud, où vivent 3000 réfugiés de retour d’exil, une femme maintient la tradition.

La poésie d’Halima Hadji Shafat raconte ses conditions d’exil au Kenya, le retour difficile en Somalie, ses rêves d’avenir… Elle dénonce les atrocités de cette guerre, particulièrement celles dont ont été victimes les femmes.

*Écoutez le reportage ou lisez sa retranscription (ci-dessous).

Présentation  :

Le 9 décembre 1992, les soldats Américains débarquaient par milliers sur les plages de la Somalie.
On ne parlait que d’elle.
Aujourd’hui, plus rien : les projecteurs se sont éteints sur le théâtre de la plus importante opération militaro-humanitaire de l’histoire des Nations-Unies.
Loin des caméras, la plupart des réfugiés somaliens sont rentrés chez eux.
Ce qu’ils ont trouvé au retour : une société totalement bouleversée.
600 villes et villages détruits.
Les troupeaux, aussi, ont été décimés, une tragédie pour ce peuple composé en grande majorité d’éleveurs nomades.
Dans le sud-ouest de la Somalie, près du fleuve Jouba, 700 familles vivent dans des abris de fortune.
Ces ex-réfugiés sont en grande majorité des femmes.
Elles sont revenues malgré la sécheresse et les risques d’une nouvelle famine.
Peut-être plus que les hommes, les femmes ont été marquées par cette guerre.
On estime à 100 000 le nombre de Somaliennes, de 13 à 70 ans, qui ont été violées depuis le début de la guerre.
Cent cinquante mille sont mortes en une seule année, en 1992, avant l’intervention de l’ONU.
Le journaliste Robert Bourgoing a rencontré là-bas une mère de famille qui, à sa manière, dénonce ces atrocités et essaie de redonner espoir aux habitants de son village.
Cette femme s’exprime par la poésie, ce qui était, avant la guerre, la forme d’expression artistique la plus riche et la plus populaire en Somalie.
Une tradition qui a pratiquement disparu et qu’elle essaie de faire revivre malgré le chaos qui règne toujours dans son pays.

Reportage (18:30)

MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :

La beauté des femmes ?… (éclat de rire) Nous, les Somalis, nous avons l’habitude de dire qu’une belle femme doit être grande, avec une belle couleur de peau, qu’elle soit claire ou foncée. Elle doit plaire. Elle doit… toujours être attirante pour celui qui l’aime. Elle doit avoir les lèvres foncées, des dents blanches, les incisives écartées, des fesses charnues, les hanches larges, de beaux yeux et de beaux muscles.

COMMENTATEUR :

Quand l’occasion se présente de parler des femmes, le vieux Mohamed Abdullahi aime bien étaler ses connaissances.
C’est comme un souvenir lointain qui l’agite tout-à-coup et qui fait rire les autres vieux du village.
Mais ça ne dure pas longtemps.
Parce que nous sommes dans l’extrême sud-ouest de la Somalie, au milieu de la brousse, dans un village de réfugiés rentrés d’exil.
Ici, les conditions de vie demeurent très difficiles.
Et avec tout ce qu’elles ont subi, la beauté des femmes n’est pas un sujet de plaisanterie.
Après quelques instants, Mohamed caresse nerveusement sa barbe rousse et redevient grave.

MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :

Avant, les femmes avaient du savon, du shampoing, de l’eau, de jolis vêtements, de l’huile pour les cheveux, un grand lit pour bien dormir. Elles avaient tout ce dont elles avaient besoin. Mais aujourd’hui, elles n’ont rien. C’est le résultat de la guerre, de la famine et des difficultés. Les maladies, la malaria, le manque de vêtements, de tout…

COMMENTATEUR :

Avant la guerre, Mohamed avait une autre passion : la poésie.
Il faut dire que dans son pays, la tradition orale a toujours été extrêmement importante.
Pourquoi ?
Parce que la langue somalie n’avait pas de version écrite jusqu’à tout récemment (jusqu’à il y a 25 ans en fait).
Dans les documents officiels, les administrateurs communiquaient dans la langue des colonisateurs : l’anglais, le français ou l’italien.
Mais pour tout le reste, dans les rapports entre les clans et pour s’adresser directement au peuple, il fallait souvent que les poètes interviennent.
Ces poètes étaient donc bien plus que de grands orateurs.
Ils jouaient, à la fois, les rôles de messagers, de journalistes et d’historiens, un peu comme les troubadours du moyen-âge.

MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :

C’était notre histoire. On faisait des poèmes sur les événements du monde. On parlait de tout. On s’informait avec les poèmes. Avant, quand nous n’avions pas de gouvernement, nos courriers étaient les poètes. C’était notre autorité. Le poème était très important dans la culture et la tradition somalies. Nous y trouvions la sagesse. Parfois, vous croyiez que quelqu’un était stupide parce qu’il vous tenait une conversation simple. Mais lorsqu’il vous récitait un poème, il révélait son être le plus intime, des choses très intelligentes qui prenaient toute leur importance.

COMMENTATEUR :

Les poètes somaliens ne manquaient jamais d’inspiration.
Comme le dit Mohamed, ils parlaient de tout.
Ils rendaient hommage à la beauté des femmes.
Ils vantaient les qualités de leur chameau.
Ils critiquaient à mots couverts le gouvernement.
Maintenant, les femmes pensent à leur survie avant de se faire belles.
Les troupeaux ont pratiquement disparu.
Et l’Etat s’est complètement effondré.
Qu’est-ce qu’il reste ?
Il reste la guerre.
Mais là aussi, ce n’est plus un sujet qui peut être chanté par les poètes.

MOHAMED ABDULLAHI (traduction) :

On faisait des poèmes sur la guerre quand la situation était claire. Mais la guerre d’aujourd’hui est totalement différente de celles que nous avons connues. Quand un homme tue son frère ou qu’un autre est tué par son propre fils, c’est la confusion et vous ne pouvez pas composer de poèmes. Les poèmes sont nés du bonheur et des bonnes choses de la vie. Mais quand vous êtes dans la détresse et que vous pensez à vos difficultés, vous ne pouvez pas penser à la poésie. Quand vous êtes déprimé, il n’y a pas de place pour les poèmes. Ce cadeau du ciel n’existe plus aujourd’hui.

COMMENTATEUR :

Depuis le début de la guerre, la plupart des poètes se sont tus.
Mais dans le village de Mohamed, il en reste un, pourtant, qui perpétue discrètement la tradition.
Chose encore plus rare en Somalie, ce poète est une femme.

Son : Halima Hadji Shafat
Ayan, ramasse du bois pour moi, du bois que je puisse mettre ici. Demande à Nasra de me donner de l’eau.

COMMENTATEUR :

Halima Hadji Shafat travaillait dans une banque et vivait richement dans une grande maison climatisée.
Mais pendant son exil au Kenya, tout a été détruit et pillé.
Aujourd’hui, elle est revenue chez elle avec ses cinq filles et son mari.
Et comme tout le monde, elle doit se construire une case avec des branches et de la boue.

Son : Halima Hadji Shafat
Apporte moi un peu plus de bois s’il-te-plaît mon enfant chéri. Donne-le moi, va et ramasse.

HALIMA (traduction) :

Avant, je composais des poèmes pour les grandes occasions. Quand il y avait des rencontres entre deux clans. Quand il y avait des mariages. Ou des poèmes pour rire. J’ai commencé comme ça. Maintenant, je le fais quand quelque chose me trouble… Quand un poète voit quelque chose, il a souvent envie de faire partager son émotion. Il enregistre le temps, l’endroit et les détails. Mais c’est… Seul Dieu le sait ! On peut avoir le don, mais quand vient le temps de créer, c’est une autre chose. Il y a des gens qui n’y arrivent pas. Mais il faut essayer.

Son : Mélodie sifflée

COMMENTATEUR :

En fin d’après-midi, dans la cour d’Halima, alors que le soleil se couche, trois femmes viennent s’asseoir au pied d’un arbre.
Halima a invité des amies pour leur réciter le poème qu’elle a préparé.
Un poème sans rimes, qui ressemble beaucoup plus à un long récit qu’à la poésie occidentale.
Un récit qui ne doit rien à l’imagination.

HALIMA (traduction) :

La guerre est entrée dans notre vie et nous avons fui.
Nous cachant sous des arbres le jour.
Marchant la nuit pendant ce qui semblait une éternité.
La famine et la soif ont tué la moitié de mon peuple.
Les animaux sauvages ont attaqué et dévoré beaucoup de gens.
D’autres ont succombé à cette sale guerre.
Nous sommes arrivés dans un exode massif au Kenya.
Dans une situation très grave.
Nous avons demandé de l’aide.
Des organisations se sont réunies.
Les Nations Unies ont établi un camp.
Ils nous ont placés derrière des clôtures électriques.
Il nous ont donné des rations.
Après, nous avons cherché du bois.
Nous avons construit des huttes que nous avons couvertes avec les bâches de plastique des Nations Unies.
Comment pouvions-nous survivre quand ce qui nous était donné le jour était volé, la nuit, par les bandits ?
Ils entraînaient nos filles avec eux, les forçant à porter les rations.
Arrivés à destination, ils les violaient à la pointe du fusil.
Les violant et les torturant.
Quand nous avons dénoncé leurs crimes,
Ils se sont réunis pour nous attaquer.
Ils sont venus dans nos cases et ils ont abusé de nous.
Les hommes ont subi le même traitement.
Celui qui est allé chercher du bois pour nous, les soldats l’ont attaqué, aspergé de pétrole et brûlé vif.
Les pires des oppressions, nous les avons subies dans ces camps.
Quand les femmes âgées et les femmes mariées ont été violées,
Quand nos hommes ont été brûlés,
Quand nos vierges ont été déchirées avec des fusils et violées,
Nous n’avons pas pu le tolérer plus longtemps.
C’est à ce moment que nous avons décidé
que chacun devait retourner dans sa région.
Même s’il fallait faire face à la guerre et à la famine, au moins nous serions dans notre pays.

Son : Ambiance village

COMMENTATEUR :

Halima est revenue du Kenya comme elle était partie : à pied, sans l’aide du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés.
250 kilomètres de brousse, sans point d’eau entre les villages, avec son mari et ses filles.
Ils ont eu de la chance : ils sont arrivés sains et saufs.
D’après un commerçant qui emprunte régulièrement cette piste, chaque jour, deux ou trois personnes meurent de soif ou d’épuisement sur le chemin du retour.

HALIMA (traduction) :

Les gens de certaines régions ont été conduits par avions et par camions, là où ils voulaient, avec de la nourriture et de l’argent.
Mais les membres de mon clan, les Absamé, ont été lâchés par les Nations Unies.
« Acceptez la main que je vous tend, disait-il,
et je vous conduis par véhicule dans un autre camp, celui de Dadaab.
Là-bas, vous serez derrière des clôtures.
Restez soumis et vous serez nourris !
Si vous n’acceptez pas, sortez d’ici Absame !
Prenez des rations et partez !
Je n’ai pas de transport pour vous.
Partez par vos propres moyens.
Si vous refusez ces deux offres et que vous restez ici,
vous n’êtes plus sous ma responsabilité.
Je lâche les soldats kenyans sur vous.
Ils vous brûleront.
Ce n’est pas mon problème…
Qu’est-ce que j’en ai à faire ? »
Je ne comprends pas le crime que nous avons commis contre les Nations-Unies…
L’après-midi suivant, nous avons réuni nos enfants,
chargé les charrettes des ânes.
Sur notre dos, nous avons porté nos enfants
et nous avons regagné nos régions à pied.
Pour faire une courte histoire,
les peuples de certaines régions
ont été transportés par avions et par camions.
Pourquoi, moi et tout mon peuple, avons-nous dû déménager sur notre dos ?
Mon peuple est mort de soif, à la merci des animaux sauvages.
Le monde devrait savoir.
Qu’est-ce que nous avons fait pour mériter cela ?
Le monde devrait savoir et nous répondre.

Son : circulation automobile

COMMENTATEUR :

A mille kilomètres du village d’Halima, dans un bureau climatisé de Nairobi au Kenya, nous avons fait écouter ce poème à Peter Kessler, le porte-parole du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés.
Voici sa réponse :

PETER KESSLER anglais :

Well there are probably a great many of reasons why transport was not available to repatriate the refugees at the time this woman was returning from Liboi. Among them of course could have been the cost of the exercise and the fact that very possibly at that time we could not find firms willing to carry the refugees back to their homeland because of the danger they would encounter, because of the cost of insurance. Secondly as well of course there has always been problems in Somalia due to clans. And you have to find a firm that is able to negotiate its way across clan territory.

Traduction :
Il y a probablement plusieurs raisons pour lesquelles nous n’avions pas de transport pour rapatrier les réfugiés au moment où cette femme revenait de Liboi. Parmi celles-ci, évidemment, il pouvait y avoir le coût de l’opération et le fait qu’à cette époque, très possiblement, nous ne pouvions pas trouver de transporteurs qui acceptent de rapatrier les réfugiés à cause des dangers et du coût de l’assurance. Aussi, en Somalie il y a toujours eu, évidemment, des problèmes à cause des clans. Et il faut trouver une compagnie qui accepte de négocier son passage sur le territoire de ces clans.

COMMENTATEUR :

Si le HCR avait l’argent et les moyens de rapatrier les réfugiés de toutes les autres régions de la Somalie, Halima se demande bien pourquoi il n’avait pas les mêmes moyens pour les membres de son clan.
En coulisses, un cadre du HCR reconnait que ce n’est pas par manque d’argent.
Mais tout bêtement, à cause d’une erreur d’appréciation de certains employés du HCR.
Les réfugiés du clan Absamé vivent dans la région de la Somalie qui est la plus rapprochée des camps du Kenya.
Ces employés ont donc considéré qu’ils n’avaient pas besoin de la même assistance que les autres, qu’ils n’étaient pas une priorité.
Officiellement, pourtant, on s’en tient à des raisons financières.
Si l’ONU a dépensé 3 millions de dollars PAR JOUR dans l’opération Rendre l’Espoir, Peter Kessler rappelle que les beaux jours de l’aide humanitaire sont terminés en Somalie.

PETER KESSLER anglais :

  • UNHCR has not received the 12 million dollars we need for repatriation and reintegration assistance. This is the kind of money that it would cost to build one parking garage in Paris. It’s very frustrating for us because we know what the needs are. But to bring it home to donor countries is impossible until you have hundreds of people dying around you on the ground. That’s what it takes to get donor countries to realize how much money it costs to take care of human beings.
  • This woman, this poet says at the end of her poem : Why did this all happen ? Let the world be aware of what happened here. And we wait for the answer from the world.
  • Well. We’re waiting for the answer too. We know what the problems are. But in donor countries, I think there’s a feeling of burnout, of Somali burnout. Because of the number of UN troops killed and the sense of embarassment that resulted from the situation in Somalia. Somalis have been very demanding people. Their leaders have been very demanding. And leaders have used often times any ruse to get foreign assistance which often ends up in their military wardchest rather than being distributed to their clan followers in an equitable way. Their leaders have embarassed and frustrated the western powers so much that it makes it very hard for organizations like the UNHCR to really get the funds that we need to help these people on the ground.

Traduction :

  • Le HCR n’a pas reçu les 12 millions de dollars dont il a besoin pour le rapatriement et l’intégration des réfugiés. C’est la somme qu’on dépenserait pour construire un parking à Paris. C’est très frustrant pour nous parce que nous savons quels sont les besoins. Mais pour en faire prendre conscience aux pays donateurs, c’est impossible à moins que des gens meurent par centaines autour de vous. C’est ce qu’il faut pour que les gens réalisent combien ça coûte de s’occuper d’êtres humains.
  • Cette femme demande à la fin de son poème : Pourquoi tout cela est-il arrivé ? Le monde devrait savoir et nous attendons sa réponse.
  • Eh bien, nous attendons la réponse nous aussi. Nous connaissons les problèmes. Mais dans les pays donateurs, je crois qu’il y a un sentiment de ras-le-bol, de ras-le-bol de la Somalie. A cause du nombre de Casques Bleus tués et de l’embarras dans lequel cette situation les a placés. Les Somaliens ont été un peuple très exigeant. Leurs LEADERS ont été très exigeants. Ils ont utilisé la ruse pour détourner l’aide étrangère, souvent pour alimenter leur machine de guerre plutôt que de distribuer cette nourriture aux membres de leurs clans. Ces chefs de guerre ont embarrassé et frustré à tel point les puissances occidentales qu’à présent, il est très difficile pour des organisations comme le HCR d’obtenir un financement pour aider ces gens.

SHUMBURU (traduction) :

On n’a pas besoin de disputes, de faux arguments et de mensonges. Quand il y a des problèmes, on a besoin de garçons courageux, forts et actifs. On ne veut pas être mis devant les caméras tous les jours et lire des livres de mensonges, on n’en veut plus ! N’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous allez raconter sur nous ? Nous devons dire chacun la vérité.

COMMENTATEUR :

Beaucoup de Somaliens sont aussi très amers vis-à-vis des occidentaux.
Des hordes de militaires, d’humanitaires et de journalistes maladroits, parachutés chez eux, dans une culture riche et fière qui ne supporte pas qu’on la regarde de haut.
Shumburu est une vieille femme qui se sent humiliée de dépendre encore de l’aide humanitaire pour survivre.
Elle profite de notre présence à Hargeisa pour se vider le coeur.

SHUMBURU (traduction) :

Laissez-nous nous comprendre. D’abord : Que la paix soit avec vous. Nous sommes des Somaliens, notre drapeau flottait au-dessus de nos têtes. Nous l’avons détruit à cause de notre bêtise. Tu comprends ? Dans les camps de réfugiés au Kenya, nous avons déjà touché le fond. Après avoir vécu ça, nous avons ramené nos enfants. Quel que soit le chemin que nous puissions prendre, nous l’avons fait. Nous sommes revenus dans notre pays natal, n’est-ce pas ? Quiconque veut nous assister est le bienvenu. Ceux qui ne veulent pas nous aider, il vaut mieux qu’ils ne remplissent pas leur caméra avec nous. Tu comprends ? Nous ne mangeons pas ce que les ânes mangent.  Nous sommes une espèce supérieure. Pendant 30 ans on a eu un drapeau qui flottait dans le ciel. On avait une armée, des projets, et on avait tout. Nous nous sommes détruits, n’est-ce pas ? Ne nous apportez pas maintenant ce qu’habituellement vous donniez aux oiseaux et aux ânes. Nous voulons du riz, de l’huile, du beurre, de la farine, ce que les maîtres habituellement mangeaient. Apportez-nous des spaghettis ou ne nous apportez rien ! Nous pourrions manger notre herbe. Laissez-nous seuls et au revoir ! Ciao !

Son : Appel à la prière

COMMENTATEUR :

Comme tous les jours, la mosquée d’Hargeisa est pleine.
Il n’a pas plu dans le sud-ouest de la Somalie, les récoltes sont perdues et les gens ont épuisé leurs dernières réserves.
En attendant la pluie, il n’y a, semble-t-il, qu’une chose à faire ici : prier.

Son : Prière

COMMENTATEUR :

Jusqu’à la prochaine saison des pluies, les habitants d’Hargeisa peuvent aussi compter sur une aide matérielle.
Le Comité International de la Croix-Rouge distribue ici des rations de haricots, d’huile et de sucre.

Son : Ambiance case

COMMENTATEUR :

Chez elle, Halima nous montre quelques poignées de haricots dans le fond de sa calebasse.
C’est tout juste ce qu’il faut pour tenir encore une semaine.
Jusqu’à la prochaine distribution de la Croix-Rouge.
Pourtant, Halima ne s’en plaint jamais.
Elle est consciente de son influence et de sa responsabilité comme poète.
Et elle reste étonnamment fière dans sa poésie.

HALIMA (traduction) :

Peuple de Hargeisa, je vais vous dire une petite chose.
Nous sommes un peuple en lutte.
Nous avons survécu au pire.
Le coeur et l’amour que nous avons ramenés dans notre pays seront bientôt comblés.
Arrêtez de vous plaindre de la famine.
Arrêtez d’attendre des organisations qu’elles vous nourrissent.
Supplier et tendre la main n’arrêteront pas la faim
et les difficultés auxquelles vous êtes confrontés.
Ca, c’est un fait.
Notre pays est riche.
Vous y trouvez toutes sortes de choses :
maïs, sorgho et trois types d’huile.
Le tournesol et le sésame brillent au soleil.
Les arachides poussent dans le sol.
Vous avez tous les légumes et tous les fruits.
Tout ce que vous avez à faire,
c’est de vous mettre à genoux et de manger votre paradis.

Son : Mélodie sifflée

HALIMA (traduction) :

Peu de femmes récitent des poèmes. Elles ont peur de s’exposer devant des groupes et de parler de certaines choses. Elles ont même peur de participer à des réunions ou des rassemblements. Il y en a qui sont envahies par les émotions. Elles veulent parler mais elles ne le peuvent pas. Il y en a qui, à cause de leur peur, ne peuvent pas dire ce qu’elles ont composé. Elles ressentent si profondément ce qu’elles ont à dire qu’il leur est impossible de ne pas s’effondrer en larmes. Elles se rappellent de cette sale guerre, et c’est là qu’elles pleurent… Moi aussi, je pleure. Quand je vois beaucoup de bonheur, je pleure.

Son : chanson d’amour somalienne

HALIMA (traduction) :

Si notre vie change, c’est possible que je fasse des poèmes joyeux. Les poèmes sur la paix viendront quand nous aurons une réelle paix. Quand chacun regagnera sa région et que nous trouverons ce que nous désirons. Si Dieu le veut. Quand la vie changera et que nous serons mieux qu’avant, nos poèmes seront inscrits dans l’histoire.

Son : chanson d’amour

COMMENTATEUR :

« Partout où je suis allé, dit cette chanson somalienne, que ce soit en Afrique, en Angleterre ou en France, je n’ai jamais vu une beauté comparable à la tienne.
Je suis sûr que tu es unique en Afrique.
Quand je te vois, les larmes emplissent mes yeux, et mon cœur, plein d’amour, se fissure comme un miroir. »

Son : chanson d’amour

3 réponses
  1. Renée
    Renée dit :

    C’est très poignant et aussi désespérant de voir le sort fait à ce peuple dans les camps de réfugiés. J’ai bien apprécié la part que tu as laissé à l’écoute de leur langue, même si on ne comprend pas le sens des mots on est pris par l’émotion.

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  1. […] Coup de chance inouï, un vieux répond qu’il y a ici un poète, que ce poète est… une femme, et que sa poésie raconte la guerre vue et vécue par… les femmes! Et pour couronner le tout, avec la bénédiction des aînés, Halima accepte même d’être filmée! Elle deviendra le personnage central de nos documentaires, dont ce grand reportage réalisé pour Radio-Canada, Somalie: La mémoire des poètes. […]

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