
C’est au cours d’un voyage en famille dans le sud du Maroc, près de Tafraout. L’une de mes plus belles rencontres. Celle d’un homme d’apparence modeste qui, avec sa femme et ses deux garçons, nous ouvrent la porte de leur maison, toute simple elle aussi, pour un séjour aussi court qu’inoubliable. Notre façon préférée de voyager : « chez l’habitant », grâce au concours d’une association qui met en contact des familles françaises et marocaines.
Dès ses premiers mots, Lahcen captive mes enfants, conquis par sa voix douce et chaude, sa gentillesse et son sourire désarmant. « Je suis fort ! », les invite-t-il à répéter, comme un jeu. « J’ai confiance en moi ! »
Ces mots, Lahcen se les répète à lui-même, comme un mantra, pour échapper à ce qu’il vit comme une absurdité et une souffrance : l’image que tous ont de lui, celle d’un pauvre berger qui mène une vie rude, dictée par les saisons et les besoins de ses moutons. Il s’en confie pendant que nous marchons côte à côte, dans le magnifique décor naturel de sa vallée, entre les blocs de granit rose, les palmiers, cactus et amandiers.
De retour chez lui, après le repas en famille, je lui demande de nous raconter son histoire, ce qu’il accepte spontanément. Une histoire que je retranscris ici, telle qu’il a choisi de nous la confier.
Occupe-toi de tes animaux
« Les autres, dans mon village et dans la société, me voient comme un homme qui n’a rien dans la vie. Ils me voient seulement avec mes habits et mes animaux. Si je dis que je travaille dans le domaine de l’invention, ils me prennent pour un fou. »
Depuis longtemps, Lahcen poursuit un rêve auquel personne ne croit : inventer un moteur électrique fonctionnant grâce à un système magnétique innovant, capable de produire une énergie propre, gratuite et illimitée.
« Quand j’étais petit garçon, je travaillais avec des morceaux d’aimants. Je posais un morceau de magnétite, il attirait le fer. Et ça s’est mis dans ma tête : il faut exploiter ça. Comment utiliser ce phénomène dans quelque chose qui va m’aider et aider les autres ? »
Guidé par son intuition, sans aucun diplôme, Lahcen se lance dans l’étude des équations mathématiques et physiques nécessaires à son projet. Et rapidement, il bute contre son plus grand obstacle : le regard des autres.
« Quand je vais au collège de mes fils, chez les professeurs de la faculté, chez les techniciens de l’électricité, ils me voient comme un homme de la montagne. Ils me disent : ‘Qu’est-ce que tu veux?’ Je leur dis : ‘Je cherche comment faire ce schéma, résoudre cette équation.’ Ils me disent : ‘Pourquoi tu veux ça? Retourne à ta région. C’est trop dur pour toi. Occupe-toi de tes animaux et de ta famille, cultive ton champ. Qu’est-ce que tu en as à faire des équations mathématiques, de la physique et tout ça?’ Ils ne comprennent pas pourquoi je fais ça. »
Personne ne soupçonne que ce qui anime Lahcen n’est pas qu’un défi technique, mais une quête existentielle, le besoin d’échapper à sa condition et donner du sens à sa vie. « J’ai envie de donner quelque chose à l’humanité. Je n’aime pas être passant dans la vie comme ça : naître, avoir des idées, travailler, me marier, être retraité et un jour mourir. Pour que je laisse une trace dans la vie, il faut que j’aide l’humanité. »
Echapper à son image
Lahcen a beau avoir de grandes ambitions, son image de paysan inculte lui colle à la peau. Comme ce jour où son cœur s’emballe pour une belle étrangère, une anglophone venue travailler dans son village en tant que volontaire humanitaire, une rencontre qui produit sur lui un effet fulgurant, comme il n’en a jamais connu.
« Je lui ai dit : Bonjour, comment ça va ? Je lui ai parlé. Mais elle me regardait comme quelqu’un d’inférieur, un pauvre qui ne sait rien. Je n’étais rien pour elle. Je le voyais dans ses yeux. »
Nouveau coup dur, humiliant. La confirmation qu’il doit se résigner à son sort ? Se plier au regard des autres ? Accepter l’image qu’ils lui renvoient et retourner à ses moutons ? Presque anéanti, Lahcen puise dans une ressource que personne ne peut lui enlever : sa force intérieure.
« Je me suis dit : Je suis pauvre, je n’ai pas de diplôme et j’ai du mal à vivre. Je ne suis pas dans la vie pour être toujours triste, pour avoir toujours peur. Pourquoi les autres sont courageux ? Qu’est-ce qui me manque ? Je ne sais même pas les langues. Il faut changer de vie. »
Alors, peut-être porté par un espoir inavoué, le berger éconduit décide d’apprendre l’anglais. À 38 ans, il se retrouve sur les bancs d’école, à côté d’adolescents de 14 ans. « Chaque semaine, je partais à Agadir pour apprendre l’anglais. Je mettais 4 heures pour y aller. Je partais samedi et je retournais dimanche. Je dormais dans la gare à Agadir. Car je n’avais pas d’argent pour prendre un hôtel. Et les élèves se moquaient de moi parce que je venais de la montagne, j’étais vieux pour eux. »
Pour son invention, Lahcen ne lâche rien. Il m’en montre les croquis, dessinés à la main, qu’il a soumis à des offices de propriété intellectuelle. « Un moteur qui donne de l’énergie saine et gratuite« , m’explique-t-il, et qui fonctionne grâce à « un aimant sous forme d’un cylindre et un autre, juste à côté, qui crée une force répulsive entre les deux aimants. Cette force fait tourner une bobine qui me donne une énergie simple, gratuite, amie de l’environnement« .
Et puis un jour, après des années d’efforts, son acharnement porte fruit : il obtient un brevet pour son invention qu’il présente dans un forum à Agadir, à la Chambre de Commerce française de Casablanca, puis à la COP22 à Marrakech, à l’invitation de Greenpeace.

Aujourd’hui, Lahcen intervient régulièrement en tant que formateur spécialiste du développement personnel. Souvent invité à prendre la parole auprès des jeunes et moins jeunes de sa région, il anime également des groupes de discussion en ligne et multiplie les certificats de reconnaissance.

Le véritable moteur de Lahcen
« Avoir atteint mon objectif, avoir mon brevet entre mes mains, c’est quelque chose qui me rend très heureux. Je cherche maintenant des compagnies, des sociétés qui vont fabriquer mon moteur. Même si c’est après ma mort, je sais bien que mon invention va aider l’humanité un jour ou l’autre. Ce qui me plairait beaucoup, c’est qu’elle voie le jour, même après 100, 200 ou 300 ans. Que quelqu’un la fabrique, que des sociétés aident des gens partout sur la planète dans le domaine de l’énergie renouvelable. »
La véritable invention de Lahcen n’est peut-être pas celle qui changera le monde, mais sa propre réinvention, celle qui, par la force de sa volonté, l’a métamorphosé, contre toute probabilité. Un travail sur lui-même tout aussi important que son travail technique sur l’invention.
« J’avais des peurs, beaucoup de doutes, beaucoup de négativité. J’étais très timide. Je n’avais pas confiance en moi. J’avais des blocages. Je pleurais beaucoup. Je me séparais de la société. »
La belle Européenne qui a provoqué l’étincelle de sa transformation a quitté Tafraout sans jamais voir son vrai visage, ce dont, aujourd’hui, il lui est reconnaissant. Parce que cette déception a été l’élément déclencheur, la bougie d’allumage de son moteur… intérieur.
« Merci beaucoup à elle car elle m’a poussé pour la première fois à réaliser mes rêves. Je n’ai plus besoin d’elle et je continue ma vie. Je ne pense plus à cette personne. J’ai gagné ma confiance en moi. C’est ça l’important. Il y a une force à l’intérieur de moi. Chaque personne a cette grande force intérieure. Il y en a qui la découvrent et d’autres qui ne la découvrent pas. Ceux qui la découvrent vont trouver le bonheur. »
« Chacun a une image dans la société, conclut-il. C’est comme un ticket. Mais la vraie image, c’est comment tu te vois toi-même. J’ai gagné mon image. »

Traduction: « Formation au développement personnel et à la pensée positive. Avec le formateur certifié Lahcen Abaj »

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