*Cet article a été publié en français et en anglais dans
l’Observateur du Fonds Mondial, la lettre d’information d’Aidspan
Un coup d’œil sur la carte suffit pour entrevoir ce qui alimente le problème de l’héroïne dans le nord du Maroc. Aux portes de l’Europe, les villes de Tanger, Tétouan et Nador, et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla sont au carrefour des routes migratoires africaines, des lieux de trafics en tous genres.
« Il y a le cannabis qui sort du Maroc et d’autres drogues qui entrent de l’étranger », explique Faoizia Bouzzitoun, Coordinatrice pédagogique de l’Association Hasnouna de Soutien aux Usagers de Drogues (AHSUD). A Tanger, cette association vient en aide à 1700 usagers de drogues injectables (UDI) pour prévenir notamment la transmission du VIH par des seringues infectées.
Son programme de réduction des risques, unique en son genre dans les pays arabes, a réussi à limiter la séropositivité parmi les UDI à 0,4%. En comparaison, Nador, qui a commencé le sien bien après Tanger, compte plus de 20% d’injecteurs séropositifs (pour une moyenne nationale d’un peu plus de 10%).
Le travail de l’AHSUD débute en 2007 par une enquête bio-comportementale suivie d’une cartographie des sites de shoot, raconte F. Bouzzitoun. « Il faut d’abord savoir à qui on s’adresse, et quelle est l’ampleur du problème. Il faut une base de connaissances avant d’aller voir les décideurs. » Avec ces informations, la nouvelle association obtient le financement du Fonds mondial pour acheter le matériel d’injection et démarrer avec l’unité mobile, une voiture et quatre intervenants qui sillonnent chaque jour les squats et lieux cachés à la rencontre des UDI, des hommes et des femmes (moins de 10%) dont la plupart vivent dans une détresse et des conditions d’insalubrité inouïes.
« On a commencé par le quartier de M’sallah, au centre-ville, là où il y a la plus grande concentration d’injecteurs d’héroïne. Ils se piquaient devant les portes des habitants. Des enfants jouaient avec les seringues utilisées. Des jeunes filles les récupéraient pour faire [les tatouages au] henné. Alors on a travaillé avec les usagers sur leur comportement. »
Le travail de rue de l’AHSUD vise d’abord les UDI. « On distribue le matériel d’injection, à usage unique, donc stérile. On sensibilise les usagers sur les risques infectieux et non-infectieux tels que la tuberculose, le VIH et l’hépatite C. On montre comment se shooter à moindre risque, comment éviter les overdoses, quelle alternative en cas de manque de matériel. On les oriente vers les centres de santé. »
L’association travaille contre la stigmatisation en défendant les droits des UDI auprès des médecins, pharmaciens et policiers. Ses équipes de terrain font du porte à porte pour se présenter aux résidents du quartier. Ceux-ci, d’abord hostiles, s’ouvrent peu à peu à leurs arguments. « Parce que les consommateurs sont leurs fils et leurs filles », explique F. Bouzzitoun, et qu’on leur demande de choisir ce qui est le mieux pour eux. « Que préférez-vous : qu’ils consomment avec moins de risques, avec la possibilité qu’ils s’en sortent, ou les laisser exposés à l’hépatite C, au VIH, et transmettre ces maladies à toute la société ? »
L’AHSUD ouvre également ses locaux du quartier Hasnouna aux UDI qui y trouvent un lieu de rencontre où ils peuvent se doucher, laver leurs vêtements, boire un café et prendre part à des discussions de groupe pour se soutenir mutuellement.
Enfin, en 2010, le Maroc introduit à Tanger, Rabat et Casablanca le traitement de substitution à la méthadone, également pris en charge par le Fonds mondial et le ministère de la Santé. Si elle n’est pas une solution miracle, la méthadone aide à réduire les risques parce qu’elle ne nécessite pas d’injection. « Pendant 48 heures, l’utilisateur peut travailler, prendre une douche, manger, fonctionner comme un être humain normal. »
La lumière au bout du tunnel de l’héroïne
Aujourd’hui, de l’avis général, le travail de l’AHSUD, décrit dans le documentaire Ceux de M’Sallah, porte ses fruits. « Les gens interviewés disent que ce n’est plus comme avant, qu’il y a moins d’usagers, moins d’injecteurs, moins de vols et moins de criminalité qu’avant », constate fièrement F. Bouzzitoun.
Selon elle, presque tous les UDI dont s’occupe l’association utilisent les kits d’injection qui leur sont fournis (seringues, cuillères, filtres, tampons secs et alcoolisés, eau stérile) en échange de leurs seringues utilisées.
Parmi eux, 400 sont sous méthadone, administrée sous forme de sirop, pour faciliter l’observance du traitement et limiter la revente et les trafics.
Avec l’utilisation de kits stériles et la diminution du nombre d’injecteurs grâce à la méthadone, très peu d’usagers sont porteurs du VIH à Tanger, explique F. Bouzzitoun, alors que 80% ont été testés au moins une fois. « Depuis 2008, nous faisons le dépistage à l’association deux après-midis par semaine. Il y a moins d’un pour cent des UDI qui sont séropositifs. »
L’évolution des mentalités est également perceptible parmi ceux qui gravitent autour des UDI. « Actuellement quand un usager de drogue est arrêté, la police nous prévient automatiquement et nous demande de venir pour voir s’il a besoin de son traitement.»
Ces résultats ont encouragé le ministère de la Santé, avec l’aide du Fonds mondial, à étendre cette approche à d’autres centres-villes, à commencer par Tétouan en 2009 (en savoir plus). Mais pour autant, tout n’est pas réglé.
Le problème de l’hépatite C, qui affecte plus de la moitié des UDI, reste entier. Il y a les prisonniers, auxquels l’AHSUD n’a pas d’accès direct, et les mineurs, « de nouveaux usagers de 15, 14 et même 13 ans » à qui l’AHSUD ne peut pas fournir de kits parce que cela nécessiterait l’accord de leurs parents qui ignorent tout de leur problème.
Et le programme méthadone, malgré d’excellents résultats (plus des deux-tiers des participants reprennent une vie active une fois stabilisés), reste largement insuffisant avec une liste d’attente de 900 personnes dans la seule ville de Tanger. « La plupart des UDI veulent s’en sortir », explique-t-on à l’association, mais toute la région manque de traitements, de personnel et de structure adaptée, comme le Centre Médico Psychologique qui jouxte l’AHSUD, fréquenté par 350 UDI sous méthadone et qui n’accepte plus de nouvelles demandes.
Tanger, laboratoire de la réduction des risques pour l’Afrique et le Moyen-Orient
Premier pays à introduire un programme de réduction des risques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et premier à introduire le traitement à la méthadone, le Maroc diffuse maintenant son expérience auprès d’autres programmes similaires par le biais du Centre de formation de l’AHSUD à Tanger.
A ce jour, en plus de leurs collègues de Tétouan et Nador, l’AHSUD a accueilli en stage des groupes de Tanzanie, du Sénégal, de Tunisie, d’Algérie et de Lybie. A ces médecins, décideurs et représentants de la société civile venus s’inspirer de l’expérience marocaine, l’équipe de Tanger répète ce qu’elle a appris depuis 2007. Commencez avec les moyens du bord et les financements suivront : « Les bailleurs de fonds ne vont pas engager de financement sans être rassurés sur les résultats probables ». Ne perdez pas de temps : « Il y a des pays où la prévalence du VIH est très haute parmi les UDI parce qu’ils ont été retardés dans la mise en place des programmes de réduction des risques ». Et surtout, tendez la main à ces hommes et ces femmes qui en ont tant besoin : « Il faut se former pour savoir comment les approcher, comment leur parler, car la seule façon d’aider ces populations est par le travail de proximité ».
*Lire cet article en anglais. Read this article in English.
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