*Cet article a été publié en français et en anglais dans
l’Observateur du Fonds Mondial, la lettre d’information d’Aidspan
A Nouakchott, tandis que des équipes mobiles parcourent les quartiers de la capitale pour une campagne de dépistage du VIH et que d’autres complètent une vaste enquête pour mettre à jour les chiffres du sida, vieux de sept ans, rien ne laisse soupçonner la période difficile que le pays a traversée.
« C’était un calvaire. Tous les Mauritaniens étaient humiliés », se souvient le Dr Mohamed Idoumou Ould Mohammed Vall, du Secrétariat exécutif national de lutte contre le sida (SENLS), au sujet de cette période noire qui a suivi le dépôt du rapport de l’Inspecteur Général du Fonds mondial (PDF – 7,8 Mo) en 2009. Des pertes de 6,7 millions USD, incluant 4,2 millions USD de fonds détournés en grande partie par un système de pots-de-vin mis en place par la précédente équipe dirigeante et le personnel du SENLS, mais aussi 2,5 millions USD par les sous-récipiendaires du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).
Le rapport du Bureau de l’Inspecteur Général (BIG), accablant pour la Mauritanie, ainsi que d’autres révélations concernant le Mali, Djibouti et la Zambie, avaient eu l’effet d’un électrochoc pour le Fonds mondial, mettant en lumière la faiblesse générale de son système de gestion des risques, entraînant la suspension temporaire de centaines de millions de dollars de contributions des pays donateurs, et forçant une réforme en profondeur de l’organisation.
Aujourd’hui citée en exemple par le Fonds mondial et des partenaires techniques pour son impressionnante capacité à se relever de cet échec, la Mauritanie met la touche finale à des demandes de financement de près de $32 million de dollars pour relancer ses programmes contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Rappel des faits
« Je voyais les ONG partir, revenir, des fonds qui étaient donnés à gauche et à droite. Il n’y avait qu’une chose que je comprenais : les malades ne bénéficiaient pas de grand-chose », se rappelle Fatimata Ball, un des deux points focaux pour les personnes vivant avec le VIH à l’instance de coordination nationale (CCM) de Mauritanie.
Après que le gestionnaire de portefeuille du Fonds mondial ait donné l’alarme, ce que les enquêteurs du BIG découvrent, entre 2009 et 2011, est un cas d’école de corruption et de mauvaise gestion : « des milliers de documents faux, fictifs ou contrefaits pour justifier des activités inexistantes, des biens qui n’ont pas été fournis et des dépenses non admissibles », peut-on lire dans le rapport du BIG, pour alimenter un système organisé de pots-de-vin servant à acheter de vastes demeures, plusieurs véhicules et des vacances en Occident. « L’un des témoins a affirmé que le haut responsable du SENLS avait jeté de l’argent à la place de confetti à son mariage. »
Entre 2004 et 2008, le SENLS gère sa subvention VIH sans procédure stricte ni logiciel de comptabilité. Les sous-récipiendaires (SR) et des sous-sous-récipiendaires (SSR) opèrent sans supervision du récipiendaire principal. Le système de gestion des stocks et des médicaments est gravement défaillant. Les données programmatiques et financières qui auraient dû éveiller les soupçons de l’agent local du Fonds (LFA) ne sont pas archivées, ce qui implique un énorme travail pour remettre en place les pièces du puzzle : « Le BIG a finalement obtenu, scanné, saisi des données et analysé plus de 50 000 pages de documents des programmes. Ses enquêteurs se sont entretenus avec près de 800 personnes ».
En ce qui concerne les subventions Tuberculose (séries 2 et 6) et Paludisme (séries 2 et 6) gérées par le PNUD, la situation n’est guère plus reluisante. Les enquêteurs se voient refuser l’accès aux comptes, au motif que, dans le cas d’une organisation onusienne, « le Fonds mondial renonce à un grand nombre d’instruments fiduciaires avec lesquels il doit travailler avec d’autres RP ». Ceci limite l’enquête aux seuls SR et SSR parmi lesquels le BIG dévoile un système de création de faux justificatifs et de collusion dans la passation de marchés. De plus, « aucun des SR ne disposait de plan de suivi et d’évaluation, de système pour collecter des données auprès des SSR et pour calculer les indicateurs de résultats, de base de données pour recevoir les données collectées ». Au total, le BIG identifie une perte de 2,5 millions USD, somme contestée par le PNUD dont l’équipe interne d’audit et d’enquête conclut à 1,06 million USD détournés par la fraude.
Un traitement de choc pour restaurer la confiance
Suite à la suspension du financement VIH par le Fonds mondial en juillet 2009 (les subventions du PNUD ne seront pas renouvelées), la Mauritanie a pris toute une série de mesures pour redresser la situation. D’abord, tous les membres du personnel du SENLS ayant participé à l’administration des subventions du Fonds mondial ont été licenciés et remplacés. Le Directeur exécutif, la responsable de la gestion des fonds et le Directeur administratif et financier ont été emprisonnés. Seul le comptable a réussi à prendre la fuite et court toujours.
Pour satisfaire une des conditions de la levée de la suspension de la subvention VIH, le gouvernement a intégralement remboursé les 4,2 millions USD identifiés par le BIG. Quant au PNUD, il reste près de 1,5 million USD à recouvrer mais, selon Andrew Hurst, porte-parole du Fonds mondial, « des discussions se poursuivent avec le PNUD et nous espérons bientôt régler la question « .
L’instance de coordination nationale (CCM), dont plusieurs membres étaient en conflit d’intérêts, a été entièrement restructurée et renouvelée avec l’appui technique de GMS, souligne René-Fréderic Plain, de l’équipe responsable des ICN à l’Unité de gestion des subventions du Secrétariat du Fonds mondial. “Grâce à l’effort concerté des partenaires et des acteurs nationaux, ainsi qu’au soutien financier de l’Initiative 5 pour cent, l’ICN a récemment complété l’autoévaluation de son admissibilité et de ses résultats, et est maintenant fonctionnelle.”
Avec la levée de la suspension de la subvention VIH, un accord de continuité de services a été signé pour assurer la poursuite du traitement de 1900 malades par la Croix-Rouge française, sous-récipiendaire du SENLS, ajoute Emina Rye-Florentz, gestionnaire du portefeuille de la Mauritanie. “Depuis la levée de la suspension, le Fonds mondial a travaillé étroitement avec le récipiendaire principal national (SENLS) et le sous-récipiendaire (Croix-Rouge française). Ils ont établi un partenariat fondé sur la collaboration et l’innovation, tout en introduisant des systèmes de surveillance de la mise en œuvre du programme pour s’assurer que des services essentiels financés par la subvention atteignent les personnes vivant avec le VIH.”
Depuis 2012, ces outils de surveillance incluent notamment des systèmes informatisés pour le suivi des stocks et des commandes en cours, ce qui permet de « connaître l’état des stocks à la pilule près », selon le Dr Heyine Ely Cheickh, pharmacien responsable des intrants pharmaceutiques et alimentaires pour la Croix-Rouge française en Mauritanie.
Du fiasco à la success story
Dans son histoire avec le Fonds mondial, la Mauritanie revient de loin. A tel point qu’à Genève, on emploie volontiers l’expression de « success story » pour qualifier le chemin parcouru. “L’ICN a officiellement lancé le dialogue national en mai 2014 pour soumettre trois notes conceptuelles, rappelle René-Frédéric Plain, et le Fonds mondial est convaincu qu’elle est bien préparée à mener le processus de développement de note conceptuelle de manière inclusive et transparente.”
Ces demandes de financement pour le VIH, la tuberculose et le paludisme, pour un montant de plus de 30 millions USD, devraient être soumises au Fonds mondial en janvier 2015.
« Ces mesures ont restauré la confiance entre nous et les partenaires, selon Idoumou Ould Mohammed Vall du SENLS. Ça nous a valu leur respect. » Une affirmation confirmée par Joseph Serutoke, Directeur pour la région Moyen-Orient et Afrique du nord au Fonds mondial. “Le gouvernement mauritanien et ses partenaires ont été réceptifs pour répondre aux questions et aux recommandations qui ont suivi l’enquête du BIG. Leur engagement constructif pour résoudre ces questions est encourageant, et le Fonds mondial se réjouit de se réengager en Mauritanie et de poursuivre le travail de mise en place du nouveau modèle de financement avec toutes les personnes concernées.”
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