*Cet article a été publié en français et en anglais dans
l’Observateur du Fonds Mondial, la lettre d’information d’Aidspan
A première vue, les chiffres du sida au Maroc sont rassurants. L’épidémie reste concentrée (les estimations de prévalence du VIH varient entre 0,1 et 0,2%), limitée principalement à quelques groupes à risque : les professionnelles du sexe (PS), les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les usagers de drogues injectables (UDI). Mais parmi ceux-ci, trois sur quatre ne savent pas qu’ils portent le virus, environ 22,000 individus difficiles à atteindre parce qu’ils vivent cachés, ce qui explique que l’épidémie progresse et menace la population générale.
Dans un pays de 33 millions d’habitants, identifier ces gens équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin, explique le Dr Adbelaziz Oussadan, Coordinateur national du dépistage du VIH à l’Association de Lutte Contre le Sida (ALCS). « C’est difficile dans un contexte de prévalence de 0,1 % de trouver 30,000 personnes. Faites le calcul : vous vous trouvez avec un nombre énorme de tests à faire pour trouver les 100%. »
Depuis 1992, la majorité des tests de dépistage au Maroc ont été réalisés par l’ALCS, la principale ONG engagée contre le sida. Comme elle ne peut pas effectuer des millions de tests à elle seule, et malgré tous les programmes de sensibilisation réalisés depuis plus de dix ans, avec le soutien notamment du Fonds mondial, les résultats du dépistage volontaire restent très limités. Seuls 30% des HSH et 25% des PS ont été testés à ce jour alors que l’objectif est de 80%.
Face à cette situation, le ministère de la Santé a inscrit le dépistage comme une des priorités de son plan stratégique contre le sida 2012-2016. La stratégie inclut tout un arsenal de moyens complémentaires, tel qu’un travail beaucoup plus ciblé des ONG auprès des populations clés, des campagnes nationales annuelles de dépistage et un nouveau projet qui vise la prise en charge du dépistage par des intervenants communautaires non médicaux.
Vaincre la peur et l’ignorance
Depuis 2013, l’ALCS et d’autres sous-récipiendaires du Fonds mondial tels que OPALS et l’Association Sud Contre le Sida (ASCS) recentrent leurs activités vers les populations clés. Dans les grandes villes et régions prioritaires, des équipes d’éducateurs pairs interviennent auprès des homosexuels et des femmes qui se prostituent sur leurs lieux de rencontre, un travail de longue haleine pour gagner leur confiance, les informer et les encourager à découvrir leur statut sérologique, soit dans les locaux de l’ALCS ou par le biais de cliniques mobiles.
A Agadir, l’ASCS déploie ses équipes d’éducatrices paires sur les lieux fréquentés par les prostituées, de nuit comme de jour. De son côté, l’ALCS travaille auprès de leurs clients, parmi lesquels figurent en bonne place les routiers, des ‘passerelles’ du VIH entre les PS et la population générale.
Depuis le début du Programme national de prévention auprès des routiers, les chauffeurs de camion sont plus prudents (ils fréquentent en moyenne 6 PS par année contre 9 en 2007), utilisent davantage le préservatif et acceptent mieux le dépistage, selon le Dr Fatima Zahara, responsable du programme à l’ALCS. « Au fur et à mesure qu’on fait des interventions auprès des routiers, ils se font tester et prennent moins de risques. » Taoufik Choukri, responsable de l’Association des camionneurs à la gare routière du quartier industriel Petromin à Agadir, confirme cette évolution. « Je me suis fait dépister, comme près de la moitié des chauffeurs de l’association, parce qu’on en a fait la demande et l’ALCS est venue avec le camion [clinique de dépistage mobile]. »
Ailleurs, les ONG doivent faire preuve d’inventivité pour atteindre les membres des communautés gay, dont la plupart vivent dans une extrême discrétion. « On a constaté qu’il y a des gens qu’on ne touche pas sur les sites de drague », raconte Abdoullah Tif, Référent de l’Action Internet à l’ALCS de Marrakech. C’est pourquoi l’association est présente sur PlanetRomeo, un site web de rencontre pour homosexuels où plus de 13,000 Marocains sont inscrits. « Presque tous les HSH qui peuvent lire et écrire au Maroc ont un profil sur PlanetRomeo », affirme A. Tif, qui y a créé un profil, ‘plaisir-santé’, pour entrer en contact de manière anonyme avec les utilisateurs du site, pour les renseigner sur le VIH, les inviter à visiter ses locaux et, éventuellement, à se faire dépister.
Malgré des progrès notables dans la lutte contre la stigmatisation liée au VIH (lire Sida et droits humains: la révolution tranquille du Maroc), le travail de dépistage auprès des groupes à risque reste très compliqué, selon Mouna Balil, directrice de la section Marrakech à l’ALCS. « On a du mal à recruter des médecins. Certains nous ont dit clairement ‘Je veux vous aider à faire le dépistage mais je ne le ferai pas avec les HSH’. »
Campagnes à grande échelle et dépistage communautaire
D’un côté, peu de médecins acceptent de travailler avec les HSH dans l’anonymat des ONG. De l’autre, ceux-ci évitent les centres de santé publics où ils doivent dévoiler leur identité et craignent le regard du personnel médical. Résultat : dans une ville comme Marrakech, seuls 500 tests sont effectués chaque année pour les HSH alors que la communauté compte plus de 2000 membres.
C’est pourquoi l’ALCS se tourne vers le dépistage communautaire, un projet qui vise à remplacer les médecins par des membres de la communauté (en savoir plus). Ces volontaires sont bien implantés, plus disponibles et sensibilisés à la réalité de leur communauté que les médecins. Le test est simple et rapide, et ne nécessite pas de formation médicale: il suffit de prélever une goutte de sang sur le doigt.
« Vu les besoins, le ministère de la Santé a accepté, raconte Younes Yatine, Chargé du programme de prévention auprès des HSH à l’ALSC. Maintenant la balle est dans le camp de l’association pour trouver les bons individus, offrir une bonne formation et faire un bon démarrage. »
Au ministère, malgré les espoirs que suscite le dépistage communautaire, on le voit comme un moyen parmi d’autres, explique Boutaina El Omari, Coordinatrice de l’Unité de Gestion du Programme d’appui du Fonds mondial. « Le dépistage communautaire ne va pas être LA solution parce que les études ont montré que, même avec tout ce que font les ONG, elles n’arrivent pas à couvrir beaucoup de monde. »
Autre élément de la stratégie, le ministère organise maintenant des campagnes de dépistage annuelles pour l’ensemble de la population, utilisant tous les médias, de la télévision à Facebook. Avec ces nouvelles campagnes nationales, le nombre de tests VIH effectués chaque année au Maroc est passé de 70,000 à 500,000. Résultat : alors que seules 300 nouvelles personnes séropositives étaient identifiées en 2011, 1100 l’ont été en 2012 et 1200 en 2013. « L’O.M.S. [Organisation Mondiale de la Santé] s’intéresse à nous parce qu’ils croient que pour une faible épidémie, les campagnes ne servent à rien. On a démontré le contraire », conclut B. El Omari, pour qui les chiffres parlent d’eux-mêmes. « On était à 80% de personnes qui ne connaissaient pas leur statut sérologique. De 2012 à 2013, on commence à parler de 75%. »
*Lire cet article en anglais. Read this article in English.
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