* Cet article a été publié dans l’Observateur du Fonds Mondial (français – anglais), la lettre d’information d’Aidspan.
En 2002, le nouveau Fonds mondial était un leader mondial dans le domaine de la transparence de l’aide. Il s’était engagé à publier des informations et des données techniques sur ses subventions à un niveau sans précédent dans le développement international. J’ai eu le privilège de faire partie du Fonds mondial à cette époque. Ceci m’a ouvert les yeux sur la complexité de traduire un engagement envers la transparence dans la réalité. J’ai aussi compris qu’il est peu probable que la seule publication d‘informations sur un site web puisse provoquer une meilleure utilisation de l’aide au développement, comme je le soulignais dans un commentaire précédent (en anglais).
Mais il semble aujourd’hui que le Fonds mondial ait perdu du terrain par rapport à son engagement originel. Selon l’Indice de transparence de l’aide de 2013, une méthode de calcul de la transparence des bailleurs de fonds internationaux, il est actuellement classé derrière d’autres partenaires tels que l’Alliance GAVI, le DfID, le PNUD et la Banque mondiale. Le fait d’être en sixième position est toujours « bien », mais le Fonds ne peut plus se prévaloir d’être exemplaire en la matière.
Ce retournement de situation peut s’expliquer par plusieurs facteurs, autant humains que techniques. Le Fonds mondial partage un point commun avec toute autre institution: il est constitué d’hommes et de femmes qui, même au travail, ont des réactions humaines, comme la peur. Et la transparence, un noble objectif en principe, attise certaines de ces peurs: celle de perdre le soutien des bailleurs de fonds (si les données ne dressent pas un tableau positif des résultats du Fonds mondial) et de miner les relations de travail avec les partenaires (si les données mettent en évidence de graves problèmes dans la mise en œuvre des programmes).
En conséquence, la tendance naturelle est de bien contrôler ce qui filtre dans la presse, d’embellir parfois la réalité et de s’autocensurer. Voici quelques exemples de ce que j’ai observé au Fonds mondial et des idées qui, je l’espère, peuvent lui être utiles pour faire face aux défis des années à venir.
Relations avec la presse
En janvier 2011, les relations du Fonds mondial avec la presse se sont soudainement tendues. Une dépêche d’agence sur les résultats de certaines de ses propres enquêtes sur la corruption en Afrique s’est répandue comme un feu de brousse, menaçant des centaines de millions de dollars de contributions des donateurs, paralysant des décaissements et ralentissant la mise en œuvre de programmes. Cette première crise majeure a constitué un tournant dans la façon dont le Fonds gère la transparence. Elle a pris de telles proportions que certains se sont sentis obligés de prendre sa défense en le posant en victime de sa propre ouverture, soulignant que la principale source de la dépêche était le Fonds lui-même qui avait décidé de publier ses rapports d’enquête. Je me souviens aussi, en tant que membre de l’équipe de la communication à l’époque, que nous étions en partie responsables de la tournure des événements. Au lieu de diffuser largement l’information auprès des journalistes, nous avions simplement publié un communiqué sur le site web avant la saison des vacances. Il nous faudra attendre pendant deux mois, lorsqu’un journaliste prétendra avoir déniché un scoop, pour remettre l’histoire dans son contexte. Mais à ce moment, nous devions nous défendre d’avoir tenté de dissimuler des choses plutôt que de communiquer sur ce que ces enquêtes révélaient véritablement.
Communication sur les résultats des programmes
Le Fonds mondial est fondé sur le partenariat et la collaboration d’un groupe d’individus aux intérêts variés et pourtant très interdépendants. Les récipiendaires des subventions dépendent de la bonne évaluation de leur travail par le Fonds pour qu’il continue à les soutenir; les bailleurs de fonds et le Fonds mondial dépendent des bons résultats des récipiendaires pour prouver que leurs investissements ont un fort impact, etc. Dans ce contexte, il existe une certaine pression pour que les communications ménagent les sensibilités et préservent les bonnes relations professionnelles.
Ces préoccupations expliquent en partie l’abandon du Système d’alerte et de riposte rapide (Early Alert and Response System – EARS) mis en place par le Fonds mondial en 2006 pour identifier les problèmes dans la mise en œuvre des programmes et l’adoption rapide de mesures correctives. Comme il a été indiqué dans l’Évaluation quinquennale du Fonds mondial (PDF, 1 Mo, p. 48 – en anglais), «le recours à ce système a suscité une certaine méfiance entre les partenaires du Fonds mondial qui ont exprimé des inquiétudes sur « l’effet stigmatisant de la liste du système EARS». Cette conclusion était fondée sur les observations faites lors d’une réunion régionale selon lesquelles le « système EARS pourrait être utilisé par des ONG pour embarrasser les récipiendaires principaux en faisant appel aux médias. Les informations doivent être diffusées avec prudence».
Ouvrir les portes de la communication
À l’ère des médias sociaux, les institutions qui font la promotion de leurs succès avec des histoires soigneusement ficelées éveillent la méfiance. Ce qui semble renforcer davantage la crédibilité est l’ouverture à la communication participative et au dialogue public, et la reconnaissance que tout ne fonctionne pas toujours comme prévu. Le Fonds mondial est connu pour la qualité de sa communication institutionnelle ‘top-down’, du haut vers le bas (publications, photos, vidéos). mais, jusqu’à présent, il s’est montré réticent à soutenir un forum d’échanges permanents pour les récipiendaires de ses subventions et autres partenaires nationaux.
En 2007, le Fonds mondial a créé MyGlobalFund.org, un site communautaire qui invitait à participer de manière libre et ouverte à des discussions sur la mise en œuvre des programmes subventionnés et sur les orientations stratégiques du Fonds. Cette initiative avait initialement suscité des doutes et des préoccupations légitimes (résumés ici – en anglais). En ouvrant les portes de la communication, certains se demandaient comment le Fonds éviterait que les critiques déferlent et menacent de détruire sa réputation. Les résultats se sont avérés extrêmement professionnels et constructifs. Au début de 2009, MyGlobalFund avait été utilisé pour plusieurs discussions thématiques donnant lieu à une série de recommandations stratégiques dont beaucoup ont été adoptées par le Conseil d’administration. Mais le site est hors ligne depuis 2010, ce qui semble une belle occasion perdue.
Mes trois recommandations
Quand des millions de vies et des milliards de dollars sont en jeu, il semble justifié de vouloir soigneusement contrôler la communication, se limitant à une approche ‘top-down’. Mais d’après mon expérience, ce contrôle limite les bénéfices et l’impact que la transparence peut apporter au Fonds mondial. Le fait de gérer son image de façon responsable et d’être totalement transparent n’est pas une contradiction; il ne s’agit pas de choisir entre le contrôle et le chaos. Le Fonds peut reprendre sa place de leader dans la transparence de l’aide tout acceptant les nouvelles règles de la communication mondiale et en jouer à son avantage.
Premièrement, il devrait encourager les journalistes à enquêter sur l’impact des programmes qu’il finance. En tant que dépositaire de l’argent destiné à sauver la vie de millions de personnes, le Fonds a toutes les raisons de gérer prudemment ses relations externes. Mais il ne peut pas prétendre contrôler une armée mondiale de journalistes, de blogueurs et d’activistes. Il devrait plutôt les soutenir activement pour enquêter sur l’utilisation de ses subventions, leur impact et leurs résultats, leur permettant ainsi d’agir comme un système d’alerte rapide. Promouvoir la transparence de manière totalement assumée renforcera sa crédibilité, augmentera la confiance et portera l’attention vers les pays où des progrès sont accomplis et des inquiétudes sont soulevées.
Le Fonds devrait aussi fournir aux observateurs indépendants et aux citoyens concernés de meilleurs outils pour les aider à demander des comptes aux récipiendaires sur leur gestion des subventions. Ceci passe par une utilisation plus stratégique de son site Internet, avec le développement de meilleures infographies et méthodes de visualisation des données, afin de contribuer à une discussion ouverte sur les résultats des programmes.
Enfin, le Fonds mondial devrait soutenir tous ces experts et sympathisants qui souhaitent contribuer à son succès en faisant appel à leur expérience, leurs idées et leurs critiques constructives. Le site web du Fonds est une excellente source d’informations mais il ne permet pas l’interaction et n’encourage pas la participation de toute personne concernée. Une utilisation plus stratégique des médias sociaux qui permette en tout temps des communications directes avec et entre les récipiendaires et les partenaires nationaux, mettrait à profit les contributions d’experts qui sont aux premières loges de la lutte contre la maladie. Le Fonds mondial est et restera une immense expérience d’apprentissage, ayant régulièrement à s’adapter à un monde qui change. À ce titre, il est l’une des organisations internationales qui peuvent le mieux tirer profit d’une utilisation innovante des médias sociaux.
Le monde espère du Fonds mondial qu’il impressionne autant par son efficacité pour sauver des vies que par sa capacité à susciter la confiance pour la manière dont il gère l’aide au développement. Le Fonds mondial et l’ensemble de ses données et informations appartiennent à l’humanité. Les demi-mesures ne sont pas une option.
* Lire cet article en anglais. Read this commentary in English.
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